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Kankan : plusieurs activistes croupissent en prison suite aux récentes manifestations contre les délestages

  • 2023-05-15 12:16:43

Tout est parti d’une manifestation de rue inopinément déclenchée dans la nuit du lundi 27 au mardi 28 mars 2023 par des jeunes de Kankan, deuxième ville de Guinée située à plus de 650 kilomètres à l'est de Conakry. Agacés par le faible niveau de la desserte électrique dans la ville, les manifestants s'en étaient pris à des effigies du président de la transition, le colonel Mamadi Doumbouya.

Après avoir barricadé les routes, brûlé des pneus et un portrait du chef de l’Etat accroché au centre-ville et jeté des pierres au domicile familial de celui-ci sis au quartier Banakoroda, les agents des forces de défense et de sécurité sont intervenus avec la manière forte. En plus des tirs de gaz lacrymogènes, plusieurs tirs de sommation avaient retentis durant cette nuit.

Les altercations entre jeunes manifestants et forces de l’ordre ont fait au total cinq blessés. C’est du moins ce qu'a confié le service des urgences de l’hôpital régional de Kankan contacté par l'équipe de Nfoulen org. « Nous avons reçu cinq personnes : un père de famille et ses trois enfants qui ont été victime de violences à leur domicile (...) Nous avons aussi reçu un élève avec une blessure au niveau de la tête. Lui aussi il a été réceptionné et le personnel lui a administré tous les soins utiles. Je précise que nous n'avons reçu aucun cas de mort ni des blessures très graves pouvant mettre en danger la vie des victimes », a expliqué Dr Yaraboye Koivogui.

A l'occasion de cette manifestation nocturne, les agents de forces de l’ordre qui ont fait usage de leurs armes à feu ont aussi procédé à cinq arrestations.

Joint au téléphone, Ousmane Mbia Kaba, le principal meneur du mouvement des jeunes citoyens et activistes qui lutte depuis le régime précédent d'Alpha Condé pour l’électrification de la région de la Haute-Guinée (Mouvement « pas courant pas dort) », est revenu sur les circonstances de l'organisation de cette manifestation. « Toutes les manifestations qui se passent à Kankan ici pour exiger la bonne desserte du courant électrique, c’est nous qui sommes à la base. Mais par respect pour le mois de Ramadan, nous avions décidé d'observer une trêve. Cependant, ce qui s’est passé cette nuit-là, c’est que c’est directeur nationale de la société EDG venu à Kankan, qui a promis sur les ondes des médias que durant ce mois de ramadan, la desserte du courant de la ville qui était de 19 heures à 2 heures du matin, serait revue à la hausse et qu’elle serait désormais de 18 heures jusqu’à 6 heures du matin sans interruption. Les citoyens y ont cru. Et ils ont été complètement déçus de constater le moment venu que le directeur leur avait menti. Car jusqu’à 19 heures, ce jour-là, il n’y avait pas d'électricité dans les ménages. Et c’est ainsi que de retour de la prière, plusieurs jeunes ont laissé libre recours à leur colère et s’en est suivi tout ce qui s’est passé. Dans la foulée de la manifestation, ils ont fait ramener l'électricité mais c’était trop tard, les gens avaient déjà pris d’assaut les rues du centre-ville, voilà ce qui s’est passé. Donc, ce n’est pas nous qui avons appelé à cette manifestation. Nous, avant de manifester, on dépose toujours une lettre à la mairie et c’est pendant la journée et non pas la nuit que nous faisons nos réclamations. Néanmoins, étant les initiateurs de cette lutte, nous nous sommes renseignés et on nous a fait savoir qu’il y a eu plusieurs jeunes arrêtés. Le lendemain, sans chercher à comprendre, ils ont commencé à nous recherchés, nous traqués et moi j’ai été arrêté pendant que j’étais en émission à la radio Espace FM de Kankan par des agents de la police », a-t-il expliqué.

La traque des manifestants...

La semaine d’après, des agents de la gendarmerie et de la police, en plus de plusieurs blindés de bérets rouges venus en renfort avec à leur tête, le haut commandant de la gendarmerie nationale, le colonel Balla Samoura, ont ratissé la ville à la recherche des jeunes leaders cités dans ces manifestations.

Après donc l'arrestation du leader du Mouvement « pas courant pas dors », Ousmane Mbia Kaba, dans les locaux de la radio Espace, ça aurait pu être le tour du jeune Kabinè Somono Condé. Plusieurs pick-up remplis de policiers et des éléments de l'unité d'élite GFIR ont effectué une descente très musclée à son domicile. Ne l'ayant pas trouvé, ils ont embarqué certains membres de sa famille avant de les libérer quelques heures après. Joint au téléphone depuis sa cachette, il a accepté de revenir sur cette descente musclée. « Quatre pick-up des forces spéciales et de la police ont débarqué chez moi ce matin-là, alors que j'étais parti à mon lieu de travail en ville et ma femme aussi était allée travailler, donc la porte de la maison était fermée. Les agents ont demandé à un enfant dans la cour qui leur a montré ma maison, ils ont défoncé la porte et celles de mes voisins. Dans ma maison, ils ont pris 18 millions de francs guinéens dans un sac dans mon armoire, ils ont pris également la somme de 800 000 francs qui étaient déposée sur mes documents. En un mot, ils ont vandalisé ma maison et sont partis. Quand ils ont vu que je n'étais pas sur place, ils ont attrapé mon grand frère pour une destination inconnue », dénonce celui qui a préféré se mettre à l'abri des éléments des forces de défense et de sécurité, avant d'ajouter : « Je ne sais pas pourquoi on me recherche. Peut-être, c'est parce que je me suis mêlé au problème de courant, mais je ne connais pas le motif réel. On ne m'a pas envoyé de convocation ni rien ».

Par ailleurs, il est à noter que plusieurs autres jeunes du mouvement de contestation anti-délestages électriques joints aussi au téléphone par notre équipe ont déclaré être visés par les agents qui traquent les jeunes impliqués dans cette manifestation. Les entrées et les sorties de la ville étaient filtrées. Lors du séjour du colonel Balla Samoura, il s'est longuement entretenu à huit clos avec les autorités administratives et judiciaires de la ville. Il avait aussi rencontré certains jeunes qui étaient déjà mis aux arrêts à la Cour d'appel de Kankan.

La procédure judiciaire...

Dans un communiqué, le procureur général près la Cour d’appel de Kankan, Falou Doumbouya, est sorti du silence, face aux opérations de « traque aux manifestants » qui commençaient à faire beaucoup de bruit dans cette ville bastion du colonel Mamadi Doumbouya où il est d'ailleurs originaire. Dans son communiqué de presse signé à la date du dimanche 2 avril, il est souligné qu’en marge de ces opérations de traque « 22 personnes ont été interpellées et entendues sur procès verbal puis déférées et placées sous mandat de dépôt, par le parquet d’instance suivant la procédure du flagrant délit ». Il a précisé toutefois que parmi ces 22 suspects figurent 2 mineurs de moins de 13 ans qui ont été remis à la disposition de leurs parents sur le fondement de l’article 549 du Code de l’enfant. Toujours selon ce communiqué, les faits qui sont articulés contre ces suspects arrêtés sont les suivants : « participation délictueuse à un attroupement non autorisé sur la voie publique, destruction et dégradation d’édifices publics, entrave aux mesures d’assistance et complicité de ces chefs ».

Alors que des agents ont vandalisé le domicile et embarqué le frère de l’un des suspects en fuite dans cette affaire — il accuse même les agents qui se sont rendus chez lui d’avoir dérobé des sommes d’argent dans sa chambre —, le chef du parquet général de Kankan déclare dans ce communiqué que c’est « dans le cadre de la continuation des enquêtes qu’une visite domiciliaire a été effectuée chez le suspect Kabinè Sonomo Condé sur le fondement des articles 63 et 129 du Code de procédures pénales », assurant que « cette visite a été effectuée en la présence du procureur de la République et de deux autres témoins requis à cet effet sur la surveillance du parquet général de Kankan ».

Le procès des « manifestants » arrêtés...

Après l’arrestation de la vingtaine de jeunes suspectés, s'est ouvert un procès le jeudi 6 avril 2023 au Tribunal de première instance de Kankan qui était plein à craquer pour la circonstance. En tout, ils ont été au nombre de 23 dont une femme et un mineur de 16 ans à comparaître devant le cour correctionnel dans cette affaire. Ils sont poursuivies entre autres pour des faits de destruction, dégradation d'édifices ou installation publique, participation à un attroupement, provocation directe à un attroupement non armé, complicité de destruction et dégradation, abstention délicieuse, entrave à la saisine de la justice, tentative d'extorsion et incitation à la violence.

A l'issue d'un débat particulièrement houleux, entre les avocats de la défense et le procureur Daouda Diomandé, les juges ont décidé de retirer les faits de tentative d'extorsion qui était retenue à l'encontre d'un des accusés. Après avoir décliné leurs identités, chacun des accusés a plaidé non coupable face aux charges qui sont retenues à leur encontre.

En marge de cette première journée du procès, seulement un seul accusé a pu être entendu jusqu'à terme. Quelques heures après le début des interrogatoires, le juge a momentanément suspendu la séance et, ensuite, l'a renvoyée au lendemain, le vendredi 7 avril 2023, pour cause du décès du doyen Pépé Plégnemou, président de la Chambre civique, économique et administrative à la Cour d'appel de Kankan.

Au deuxième jour du procès, les prévenus ont continué à se succéder à la barre afin de se prêter aux différentes questions du tribunal. Ce deuxième jour de procès a été marqué par la comparution tant attendu d'Ousmane M'bia Kaba, président du Mouvement « pas courant pas dort ». Comme ses coaccusés l'ayant précédé à la barre, le jeune militant anti-délestages, poursuivi particulièrement pour des fait de « provocation directe d'un attroupement non armé, complicité de destructions et de dégradation de biens publics », a plaidé non coupable.

Tout au long de son interrogatoire face au procureur de la République le jeune militant présenté comme l'un des principaux provocateurs des actes de vandalismes qui ont émaillés les manifestations nocturnes des 27 et 28 mars dernier dans la commune urbaine de Kankan, il a rejeté les accusations. « Non. Le Mouvement Pas courant pas dort, dont je suis le président, avant toutes nos manifestations, nous écrivons d'abord à la mairie, et en plus nous ne faisons jamais de manifestation durant la nuit », s'est-il défendu.

Poursuivant son interrogatoire, le procureur Daouada Diomandé lui a alors demandé : « Si ce n 'est pas vous, alors qui sont ceux qui étaient dans la rue. Sachant que c'est vous qui disiez pas courant pas dort et effectivement durant les nuits du 27 et 28 mars nous n’avons pas dormi ». En réponse, le jeune activiste a indiqué qu'il ne le sait pas, tout en faisant savoir que ces émeutes nocturnes se sont déclenchées de façon spontanée. « Pas courant pas dort est l'un de mes surnoms. C'est un slogan que j'ai créé en tant que leader pour accompagner notre lutte légitime pour demander la meilleure desserte du courant électrique pour l'ensemble des citoyens de Kankan, même ceux qui nous combattent. Pas courant pas dort ne signifie pas la violence, ça veut dire que quand il n'y a pas de courant électrique, nous ne pouvons pas dormir à notre aise », a-t-il expliqué devant le tribunal.

A l’issue du troisième jour du procès le mardi 11 avril 2023, aux environs de 17h30, a débuté la phase des plaidoiries et réquisitoires. Prenant la parole, le procureur Daouda Diomandé a requis trois ans de prison ferme et une amende d'un million de francs guinéens contre les cinq principaux accusés dans cette affaire, à savoir Ousmane Mbia Kaba, président du Mouvement pas courant pas dors, Ousmane Diakité dit Kono, Jean Kaba, Nakany Konaté et Kabinè Touré dit Cafu, tous poursuivis pour des faits de complicité de destruction et de dégradation de lieux et de biens publics, attroupement non armé, entrave à la saisine de la justice et abstention délicieuse.

De leur côté, les avocats de la défense ne sont pas restés inertes devant ce lourd réquisitoire du parquet. Au contraire, dans leurs plaidoiries, ces derniers ont déclaré : « Nous avons constaté que le procureur veut la tête de nos clients à tout prix. Sinon qu’il a été incapable de brandir la moindre preuve pour incriminer nos clients. Il est venu avec des images, nous les avons vues, mais par contre nous n’avons vu aucun de nos clients sur ses photos en train de détruire quoi que ce soit comme il le prétend. C’est pourquoi en retour, nous avons plaidé non coupable pour la totalité de nos clients, tout en demandant au juge de les rétablir purement et simplement dans leur droit en les relaxant ». Ce sont les arguments rapportés par Me Ibrahima Khalil Kanté, l’un des avocats de la défense, à la sortie de l'audience. A noter qu’à l'issue de toutes ces réquisitions et plaidoirie, le juge a décidé de renvoyer de nouveau cette affaire au jeudi 13 avril pour rendre public le verdict final.

Un verdict sévère contre les principaux accusés

Ce procès contre les jeunes manifestants anti-délestages, a connu son épilogue le jeudi 13 avril 2023. Dans son délibéré, le juge Cheikh Ahmed Tidiane N'diaye, a condamné quatre des cinq principaux accusés de cette affaire. Le plus célèbre des prévenus, Ousmane M’bia Kaba, et deux de ses coaccusés, à savoir Bangaly Jean Kaba, Ousmane Diakité dit Kono, ont été reconnu coupable des faits de complicité de destruction, de dégradation de lieux et biens publics, attroupement non armé et pour la répression ils ont écopé d’une peine d’un an et six mois d’emprisonnement ferme et au paiement d’une amende d’un millions de francs guinéens.

Quant à l’ex chef du quartier Kabinè Touré dit Cafu, il a été également reconnu coupable par le juge des fait d’entrave à la saisine de la justice et abstention délicieuse qui l’a ensuite condamné à un an d’emprisonnement dont quatre mois fermes et huit mois assortis de sursis et au paiement d’une amende d'un million de francs guinéens. En ce qui concerne le jeune prévenu Mohamed Lamine Baldé qui s’est avéré être âgé de seulement 16 ans, le tribunal s’est déclaré « incompétent ».

Par ailleurs, les prévenus, Sékouba Camara, Morinkè Kaba, Abdoulaye Barry, Souleymane Sanoh, Adama Condé, N’famoussa Kaba, Kalagba Goulouboye, Mamoudou Tounkara, Karamo Mohamed Kaba, Ibrahima Sory Keita et Aboubacar Diawara, ont tous été reconnus coupables pour des faits de destruction, dégradation d’édifices publics et participation à un attroupement non autorisé puis condamné à un an de prison assorti de six mois de sursis et au paiement d’une amende de 500 000 francs guinéens.

Des relaxes pures et simples

Pour sa part, Nakany Konaté, la seule dame comparaissant dans ce procès a été déclarée non coupable ainsi que six autres accusés à savoir Aboubacar Sidiki Diané, Ousmane Keita, Naby Moussa Dramé, Mamady Condé, Thierno Sadou Barry et Mamadou Barry, poursuivis pour les mêmes faits, ont tous bénéficié de la relaxe pure et simple pour délit non constitué.

Un verdict qui suscite des indignations

Au sortir de la salle d’audience, la consternation totale se lisait sur le visage des parents des prévenus condamnés. Dans la cour du tribunal, ils ont scandé des propos de protestation à l’encontre du procureur Daouda Diomandé. Celui-ci s’est pour sa part dit « très satisfait de ces différentes décisions prononcées par le tribunal ». « Car cela servira de leçon à ces jeunes qui se croient tout permis à Kankan », a-t-il ajouté.

De leurs côtés, les avocats de la défense ont promis d’interjeter appel. « C’est une consternation totale. Ce à quoi nous avons assisté, est tout sauf de la justice. Mais au final, nous concluons que les conditions d’interpellation de nos clients ont abouti à leur condamnation. Depuis le premier jour du procès, on a tous compris que les gens ont été arrêtés sur la base d’une liste qui serait venue de Conakry et les décisions publiées, j’avoue qu’elles sont également préalablement établies et venues de Conakry. Donc ne pas interjeter appel serait une manière pour nous de nous associer à cette injustice », ont indiqué les avocats de la défense Me Ibrahima Khalil Kanté et Me Mamady Doumbouya à leur sortie de la salle d’audience.

Les condamnés purgent actuellement leurs peines

Au moment de la publication de cet article, les jeunes activistes condamnées dans cette affaire se trouvent toujours en détention dans les geôles de la Maison centrale de Kankan, en dépit de l’implication des sages de la ville qui ont plaidé à maintes reprises en faveur de leur libération. Quant à l’ouverture d’un procès en appel, comme demandée par la défense, elle peine à être effective. A ce jour, aucune date n’a été fixée par les autorités judiciaires.

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